
Que ce soit par le biais des guerres, des crises économiques ou encore des crises politiques, l’immigration est un sujet du quotidien. Elle l’est tout particulièrement ces derniers temps. Le décret anti-immigration du président américain Donald Trump a fait beaucoup de bruit et a nourri le climat de peur déjà bien implanté chez nos voisins du sud. Bien entendu, le président n’est pas le seul à alimenter cette montée de haine dans le discours politique. Le récent rapport d’Amnistie Internationale en fait l’amer constat. Salil Shetty, secrétaire général de l’ONG, nous dit :
« Les notions de dignité humaine et d’égalité, l’idée même de famille humaine ont été attaquées de façon violente et incessante dans des discours remplis d’accusations instillant la peur et désignant des boucs émissaires, propagés par ceux qui cherchaient à prendre le pouvoir ou à le conserver à tout prix. »*
En lisant l’actualité et en constatant les divers amalgames qui peuvent être fait à propos de certains groupes ou de certaines cultures, nous avons sélectionné pour vous cinq romans humanistes qui ont pour but de rectifier l’image du migrant ou de tout simplement réfléchir à nos sociétés via une fiction ou l’expérience d’un écrivain.
L’immigration dans la littérature
• Ru de Kim Thuy
Ru est composé de très courts récits liés un peu comme dans une ritournelle : la première phrase du chapitre reprend le plus souvent l’idée qui terminait le chapitre précédent, permettant ainsi de faire le pont entre tous les événements que la narratrice a connus : sa naissance au Vietnam pendant la guerre, la fuite avec les boat people, son accueil dans une petite ville du Québec, ses études, ses liens familiaux, son enfant autiste, etc. La vie de l’auteure est bourrée de gens charmants, singuliers, de situations difficiles ou saugrenues vécues avec un bonheur égal, et elle sait jouer à merveille avec les sentiments du lecteur, oscillant entre le tragique et le comique, entre le prosaïque et le spirituel. Écrit sur un ton féminin, maternel, chaleureux, poignant et très original, qui dépasse la tranche de vie traditionnelle, Ru dénote un grand talent dans l’art de raconter, où le souvenir devient prétexte tantôt au jeu, tantôt au recueillement. Un récit d’une adorable et candide survivante, un récit qui contient toute la grandeur de la vie.
• Un été à Princetown de Caroline Vu
Ce roman choc raconte la vie tumultueuse d’une famille nord-vietnamienne ballottée par les caprices de l’Histoire et aux prises avec sa propre folie. À travers un récit teinté d’humour, on découvre les aventures rocambolesques d’un clan familial dans sa longue migration, depuis l’Indochine française jusqu’à son exil à Montréal. Saisissant portrait de quatre générations dans un univers où tous les repères s’écroulent. Le personnage pivot de ce récit romancé est le cousin Daniel, qui meurt du sida à Montréal en 1986 et dont personne ne mentionne plus le nom. Du grand-père opiomane jusqu’à ce jeune cousin homosexuel, tous vivent dans leur chair les blessures de la guerre. Avec leurs faiblesses et leurs rêves, ils se débattent pour survivre à la désintégration de leur monde ordonné, disparu dans les vents du changement. Un roman hypnotisant qui allie l’historique et l’intime.
• Le Sans-papiers de Lawrence Hill
« RETOURNE DANS TON PAYS. » Ces mots viennent du coureur à la gauche de Keita. Un Blanc, sûrement de Libertude. Cheveux bruns flasques, ballottant au rythme de ses foulées. Bras trop élevés. Allure désordonnée. La course est la danse la plus gracieuse au monde. Keita a été entraîné à voir ses jambes comme des roues. Il a appris à toucher le sol sans faire de bruit, à transférer son poids sur la plante des pieds, à rouler les orteils et à passer plus de temps en suspension qu’au contact du sol. N’importe qui peut courir, mais rares sont ceux qui le font avec élégance. Le rival de Keita court comme sur des pneus à plat. Keita ne souffle mot. Fait semblant de ne pas comprendre l’anglais ni de le parler. Se contente de courir. Derrière son épaule, le coureur répète : « Retourne dans ton foutu pays. » Il est grossier. Il mérite de souffrir. Keita allonge le pas. Tôt ou tard, le rustre commencera à avoir mal. Tout le jeu consiste à infliger à son adversaire plus de douleur qu’on en ressent. Keita, étranger sur un territoire étranger, dont la seule faute est d’exister là où sa présence est illégale, utilisera donc la vitesse pour briser cet homme.
• L’Eldorado de Laurent Gaudé
Le commandant Salvatore Piracci intercepte les bateaux chargés d’émigrés clandestins qui passent entre la Sicile et l’île de Lampedusa, et dont les passagers risquent souvent la mort. Sa rencontre avec une survivante bouleverse sa vie et ses convictions. Quant à Soleiman, il décide lui aussi de partir du Soudan avec son frère Jamal, puis avec Boubakar, pour l’Europe.
• Rue des Voleurs de Mathias Enard
C’est un jeune Marocain de Tanger, un garçon sans histoire, un musulman passable, juste trop avide de liberté et d’épanouissement, dans une société peu libertaire. Au lycée, il a appris quelques bribes d’espagnol, assez de français pour se gaver de Série Noire. Il attend l’âge adulte en lorgnant les seins de sa cousine Meryem. C’est avec elle qu’il va « fauter », une fois et une seule. On les surprend : les coups pleuvent, le voici à la rue, sans foi ni loi.
Commence alors une dérive qui l’amènera à servir les textes – et les morts – de manières inattendues, à confronter ses cauchemars au réel, à tutoyer l’amour et les projets d’exil. Dans Rue des Voleurs, roman à vif et sur le vif, l’auteur de Zone retrouve son territoire hypersensible à l’heure du Printemps arabe et des révoltes indignées. Tandis que la Méditerranée s’embrase, l’Europe vacille. Il faut toute la jeunesse, toute la naïveté, toute l’énergie du jeune Tangérois pour traverser sans rebrousser chemin le champ de bataille.
Parcours d’un combattant sans cause, Rue des Voleurs est porté par le rêve d’improbables apaisements, dans un avenir d’avance confisqué, qu’éclairent pourtant la compagnie des livres, l’amour de l’écrit et l’affirmation d’un humanisme arabe.
* Amnesty International fustige la prolifération des discours haineux de Nicolas Bourcier, le 22 février 2017 dans le journal Le Monde.